Le cours du soir

J’ai été admis à l’Ecole Normale d’Instituteurs deux ans avant la guerre de 68. Lorsque j’en suis sorti tout frais émoulu, j’ai été nommé dans un petit village du Périgord Noir.

Le métier d’instituteur de campagne était très différent de celui d’instituteur de ville. L’instit devait faire vivre son école un peu comme une entreprise artisanale. Son travail ne se résumait pas simplement à la journée de classe, à sa préparation et aux corrections, non ça c’est le lot commun. Egalement animateur d’éducation populaire, il vaquait à des activités multiples et

variées : coopérative d’école, cantine scolaire, équipe sportive, amicale ou foyer laïque, club de théâtre, ciné-club… ou tout ça à la fois.

Mais dans ce petit village où je suis arrivé, l’amicale laïque organisait aussi un cours du soir pour les adultes. Je m’y suis collé un peu forcé au début et puis avec le temps, j’y ai pris goût.

Ainsi, de septembre à mars, un soir par semaine, j’ouvrais ma classe unique à de grands élèves qui s’asseyaient aux places de mes pitchous. C’est cette chronique que je vais vous raconter...

 

« Bonsoir à tous. Ouvrez vos sacs. Sortez vos affaires. Le cours du soir va commencer...»

C’est sans doute ainsi que j’ouvrais les séances du cours du soir, à l’époque où je faisais l’instituteur

et c’est un peu en commençant ainsi que je vous parlerai de quelques uns de mes grands élèves tardifs :

Nasou, expulsé temporaire du foyer conjugal et recueilli par l’école les soirs d’hiver,

Arlette, calligraphe effrénée, emplumée de Sergent-Major,

Nicole et Eve, les « barbèques » du fond de classe et leur poésie à deux balles,

Le cagadour de Gilou, parti à la dérive sur l’océan de la modernité, un matin de colère,

Zette, cette belle plante et son mariage incongru,

Jésus Christ, croquant moderne, rattrapé par un passé très agité,

et ce Monsieur venu jusque sur nos bancs nous raconter son Certificat d’Etudes, 

tous croisés au cours du soir, dans ma classe unique de village…